Sucre – La Paz : le début du voyage à deux d'Adrien et Romain
Une dizaine de jours s’est écoulée depuis notre séparation avec Goulven et Pierre à Sucre, pourtant la routine continue jusqu’à La Paz, la capitale de la Bolivie : les montagnes, les camions qui crachent une fumée noire, les bonnes rencontres, les ennuis mécaniques et encore les montagnes, mais cette fois-ci en crampons ! Nous retrouvons la douce Flore, une pote de promo, à la Paz, histoire d’avoir une bonne raison de se doucher et de faire une lessive….
Vendredi 20 février, nous quittons Sucre en direction du nord ,après avoir salué nos compagnons que nous retrouverons très vite en France ! Nous préférons emprunter la route 6 qui passe par Ocuri plutôt que de revenir sur nos pas et de suivre l’asphalte via Potosi [cf article précédent]. C’est parti pour une jolie course contre la montre. Objectif : rejoindre Flore qui nous attendra à La Paz le plus tôt possible !
La sortie de Sucre se fait très facilement, et nous avons le plaisir de découvrir cette ville sous un nouvel angle une fois arrivé sur les hauteurs. C’est avec nostalgie qu’on distingue le « cerro » (colline) sur lequel sont perchés les bâtiments de l’ONG CEMVA [cf article précédent] : on serait bien resté quelques jours de plus auprès des enfants des quartiers pauvres de Sucre ! Au loin, le nord : la direction de nos amis partis pour Santa-Cruz, vers le soleil amazonien ! Pour nous ce sera les nuages, le froid et la pluie de l’altiplano…. Heureusement les premiers 60 km de route sont asphaltés, grâce à « Evo » bien entendu, Le président chouchou des Boliviens, qui a quand même dû bien galérer à tout construire tout seul… On avale la côte rapidement jusqu’à la fin de l’asphalte : le village de Ravelo. On se prend un bon repas bien mérité dans un boui-boui : des patates et du fromage (pas de viande servie pour Carême).
Puis nous retrouvons « le paradis infernal » bolivien : une belle forêt, des montagnes escarpées et des formations géologiques originales pour le paradis ; et la pluie, le froid, le ripio (la piste), des rivières à traverser et le sale dénivelé pour l’enfer. Le fameux carnaval bolivien ne s’arrête pas dans les campagnes : on se prend donc un petit rab de bombes à eau sur la tête et on a le droit à quelques ravitos de bières offertes par les supporters locaux en état avancé d’ébriété… C’est avec regret que nous ne pouvons pas nous arrêter dans les petits villages que nous traversons pour fêter ça…
Au bout de deux jours et demi nous arrivons à Cruce Ventilla pour retrouver pleinement l’asphalte ! On retombe sur la route 1 qui traverse la Bolivie de part en part : de La Paz à Villazon, à la frontière argentine. Cette route, surtout fréquentée par les camions et les bus, est assez plate : ça fait du bien aux genoux ! 30 bornes plus loin, avalées à toute vitesse, nous campons dans un mystérieux « Monumento Historico » (monument historique)… La fonction de cet ensemble carré de bâtisses nous laisse songeur : on hésite entre un terrain de foot précolombien ou un enclos à lamas… Quoi qu’il en soit nous profitons d’un superbe spot de camping à l’herbe bien molle. Quel plaisir d’enfoncer sa sardine en deux secondes ! On en profite pour inaugurer notre dernière découverte culinaire : la salade de tomates-fromage qui vient pimenter les pâtes à l’huile d’olive ! Heureusement Romain a la bonne idée de crever le lendemain ; la merveilleuse pompe « dual action » ne marchant plus, nous faisons du stop jusqu’à la ville de Challapata. Freddy, le camionneur qui nous accueille dans son gros camion chargé de minerai, nous révèle que le monument en question était une caserne du président-dictateur Mariano Melgarejo, célèbre pour avoir donné une énorme partie du pays d’un coup de doigt sur une carte à un Chilien contre un cheval…
Une fois la roue gonflée, nous repartons. Quelques dizaines de bornes plus loin, nous nous arrêtons prendre un « completo » (soupe + plat principal) dans le restau du coin et nous rencontrons Fran, l’Argentin, qui nous raconte son périple entre deux bouchées : il est parti à 24 ans de Barcelone… et il se retrouve 7 ans et demi plus tard en Bolivie, à cravacher (7000 km en deux mois) pour rentrer en Argentine pour le mariage de son frère. Entre temps, il a traversé l’Europe du Sud, la Turquie, s’est perdu au Moyen-Orient à cause des problèmes de frontières à franchir (mince, ça passe pas au Turkménistan, tant pis je passerai par le Pakistan), puis l’Inde et l’Asie du Sud-Est jusqu’au sud de l’Australie… Pour ensuite tout remonter jusqu’au Japon, prendre un vol pour l’Alaska et redescendre au sud… Sa rencontre nous a laissé rêveurs… En repartant, il nous avoue quand-même : « Aproveche la compania » (Profitez de la compagnie) !
Le soir nous arrivons à proximité de Oruro, ville célèbre pour son carnaval, et nous campons chez un couple de jeunes agriculteurs. Le cadre est sympa : on peut squatter la fabrique de briques et on dispose de toilettes à l’air libre avec superbe vue sur le lac Poopo… Les petites filles de la ferme viennent nous filer un coup de main pour monter la tente, ce qui les impressionne quand même beaucoup moins que nos Oreos…
A Oruro commence la quatre voies. On traverse rapidement cette ville, gigantesque décharge à ciel ouvert, pourtant classée au patrimoine immatériel de l’UNESCO… C’est parti pour le sprint final : 250 km environ avec un léger vent de face. La route est peu fréquentée. Les ouvriers qui travaillent sur les finitions de l’autoroute (ponts, voies d’insertion, drainage, rambardes) sont plus nombreux que les usagers de l’autoroute : les camions et les bus principalement. On s’arrête dans la dernière ville avant la capitale bolivienne : Calamarca (histoire de faire les derniers 60 kilomètres urbains tranquillement le lendemain matin) où l’on réussit à loger chez des locaux.
Nous arrivons le jeudi 26 au matin à la Paz… soit un jour et demi plus tôt que prévu ! Objectif atteint ! Après avoir slalomé entre les micros (minibus de seconde main importés d’Asie représentant le principal transport urbain collectif bolivien) d’El Alto, la banlieue pauvre de La Paz située sur le plateau, nous descendons à toute vitesse vers La Paz, située dans une cuvette. Nous logeons à la Casa de Ciclistas, auberge pour cyclo-touristes du monde entier (France, Québec, USA, Angleterre…) tenue par Cristian. Comble du luxe : la casa est si grande que nous avons un appartement pour nous, tandis que les vélos ont le leur ! Nous partageons les lieux avec plusieurs cyclos du monde entier, l’occasion de faire le plein de conseils et d’anecdotes ! Flore nous rejoindra le lendemain dans notre nid douillet...
La Paz se trouvant dans une cuvette, l’altitude nous manque cruellement… On part donc gravir le Huayna Potosi, un des sommets de plus de 6000 mètres les plus accessibles au monde (6088 mètres), situé au nord de La Paz, dans la Cordillera Real.
Le premier jour nous jouons à Spider-Man : test du matériel et escalade de glace sur une paroi verticale du glacier, à 4900 m environ. Nous sympathisons avec un groupe de Norvégiens eux aussi en quête d’aventure ! On passe le temps en leur apprenant la coinche, et ils nous apprennent le Casino et le Perudo. Le deuxième jour, nous nous réveillons dans une tempête de neige : impossible de monter au deuxième camp, situé à 5130 m. Notre guide, David, décide donc de rester au premier camp et de tenter l’ascension dans la nuit, en espérant que le temps s’améliore. Il nous avoue qu’il déteste la neige : il y a deux ans, il est resté 5 minutes sous une avalanche… La télé de la salle principale passe un film : La Mort Suspendue. La pression monte mais on ressort les cartes pour s’occuper ! Heureusement, le soleil réapparaît et nous pouvons finalement monter au camp 2 en début d’après-midi.
On passe le reste de l’après-midi à boire du thé de coca contre le mal d’altitude : nous nous préparons à dormir au point le plus haut de notre vie… On se couche à 19 heures, le réveil est prévu à minuit. L’excitation et l’altitude nous empêchent de trouver un sommeil profond. A minuit, une lampe frontale traverse le dortoir, David vient nous demander de nous mettre en tenue… Nous enfilons nos 4 ou 5 couches de vêtements, reprenons une dose de coca, avalons deux trois morceaux de pains, passons une dernière fois aux toilettes, serrons notre casque et notre harnais, prenons nos crampons et notre piolet et sortons dehors… David se paie le luxe d’accrocher une paire de skis à son sac à dos pour se faire une belle descente ! Si on avait su on aurait ramené les nôtres sur notre porte-bagage… Surprise : la pleine lune, aidée par un ciel dégagé, éclaire la montagne couverte de neige… Pas besoin d’allumer nos frontales ! La nature est avec nous, on a bien fait de trier nos déchets ! On met nos crampons, et on nous encorde : Romain et Adrien monteront avec David, et Flore montera avec son guide privé : Eloy. C’est parti !
L’ascension se fait tranquillement. « Tranquilo pero seguro » (Tranquille mais sure) répètent nos guides. La lumière lunaire crée une ambiance entre On a marché sur la Lune et Tintin au Tibet. Dans la nuit blanche, on se fait mitrailler de flashes bleus d’appareil photo. Interloqués, on se retourne lors de la première pause mais aucun touriste en contre-bas, seulement des orages à l’horizon… Après le premier passage difficile (escalade sur glace), David nous propose un passage « plus court et plus facile » pour rejoindre le sommet, via un pic de pierre à 6000 mètres et une crête, à condition que nous soyons en forme… Malgré une digestion de chocolat chaud difficile à 5800 mètres, nous partons pour cette route alternative, en donnant rendez-vous à Flore au sommet ! Le pic en question nous impressionne, mais David nous rassure : on zigzaguera pour atteindre le sommet… Que nenni ! Ce sera une ascension 100% verticale, avec de l’escalade. Les mains dans la neige commencent à sérieusement se refroidir, et on se fait peur lorsqu’il faut passer une pierre dans la glace (David qui a assuré la cordée sur la crête, a fait passer la corde par cette pierre pour se sécuriser en cas de chute lors de son ascension). Lorsque nous atteignons la crête, il est 6h du matin environ, et le soleil se lève ! On fait une pause bien méritée en dégustant le paysage, probablement le plus beau de notre vie, puis David part assurer la cordée une deuxième fois au sommet du pic. On doit alors marcher le long de la crête, et on découvre qu’il y a aussi un précipice de l’autre côté, brrrrr…. Le lac Titicaca et l’altiplano se découvrent à nous : nous sommes très haut !
Du pic au Huayna Potosi, nous mettons 10 minutes à marcher très précautionneusement le long de la crête pour retrouver Flore qui nous attend, immobile et congelée, avec nos amis norvégiens qui ont réussi l’ascension. Nous aurons bien mis 5 heures pour gravir la montagne. Le temps de profiter de la vue et de prendre quelques photos souvenirs, nous redescendons en vitesse par le chemin classique, extrêmement pentu, pour éviter le mal d’altitude.
Au pied du Huayna Potosi, l’ambiance se détend : on peut dévaler la pente en courant ! Le soleil est au rendez-vous, on se drogue de thé de coca, on fait du rappel lors du premier passage difficile (le mur de glace), et David nous quitte pour ses skis : on redescend au camp 2 tous les trois encordés à Eloy en moins de deux heures. Sur les 16 touristes ayant tenté l’ascension ce jour-là, 8 seulement seront arrivés au sommet.
Une fois redescendu à La Paz et avoir chaleureusement remercié nos guides, on s’offre un petit plaisir : quelques empañadas et une énorme glace en dessert ! Le soir, après une sieste bien méritée, nous nous offrirons une fondue (bourguignonne ou savoyarde, au choix !) avec nos amis norvégiens et Marie et Olivier, nos amis de la Casa de Ciclistas, un couple de Grenoble fan d’alpinisme qui voyagent en tandem ! Pour l’anecdote : ils nous suivent depuis la Patagonie avec quelques jours de retard, et ils ont eu un temps magnifique sur la caretera austral…
Il est temps pour nous de mettre Flore dans un micro pour l’aéroport et de préparer la suite de l’aventure : le lac Titicaca et le Pérou, où un atelier dessin nous attend dans le petit village de Matalaque !